[INTERVIEW] CÉDRIC DOUMBÉ

Par redaction

02/11/2023

Combattant hors-pair, champion du monde de kick-boxing, invaincu en cinq combats de MMA, Cédric Doumbé, 31 ans, est un personnage complexe. Capable de jouer aussi bien avec les poings qu’avec les mots, déterminé à « mettre KO les violences faites aux femmes », le Français née à Douala (Cameroun) veut conquérir son monde. Entretien avec un combattant accompli, pour qui l’image et l’héritage comptent presque autant que la performance.

Photographe Elie Zinsou Styliste Steven Anondo

Samedi 30 septembre, après seulement 9 secondes, Jordan Zébo tombait KO. Un combat expéditif, devant une pléthore de personnalités, le « poing » final de plusieurs semaines de trash-talking. Une victoire qui t’a ouvert les portes d’une autre dimension, sportive et médiatique. Quel était le premier sentiment, la première émotion qui t’a traversé quand tu l’as vu tomber ?

En réalité, il y avait du soulagement, un léger sentiment de pression qui redescend, parce que médiatiquement, c’était le combat le plus important de ma carrière à ce moment là. Aujourd’hui ce sera le prochain, puis le prochain et le prochain. Mais directement après c’était normal, parce que je le savais : j’avais analysé l’adversaire, c’était impossible que je perde. Et à la fin, cerise sur le gâteau, PSG, Kylian (Mbappé), matelas, bonne nuit… toutes les planètes étaient alignés. Puis ça a pris une ampleur incommensurable, alors que c’est ce que je fais depuis 14-15 ans, de mettre des mecs KO au premier round. Et là, c’est même pas un combat pour une ceinture, je me dis que la hype est réelle. Il y a plus de pression désormais, à chaque combat ça va être comme ça.

Rembobinons le fil de ta carrière. Tu commences la boxe à 16 ans, avant de quelques années plus tard faire des combats ton métier. À quel moment on décide de devenir combattant ? Qu’est ce qui pousse un homme à mettre sa vie entre parenthèses pour s’entraîner et monter sur le ring ?

Je deviens vraiment combattant trois ou quatre ans plus tard. Je me rends compte que j‘ai des facultés, des aptitudes innées que les mecs de mon âge et même les anciens n’avaient pas. Il y avait des choses qui était plus facile pour moi que pour les autres. J’ai découvert que j’avais un talent, c’est ce qui m’a poussé à continuer, avec l’envie de battre des mecs de plus en plus forts. Je prends pas de coups, pas de KO. Je n’ai pas de blessures, à cet instant, la santé n’est même pas un sujet. L’aspect pécunier ne m’intéressait même pas au début, c’était juste : gagner, gagner, être le meilleur. La passion.

Tu as fait du trash-talking ta marque de fabrique, une manière de faire monter l’engouement avant d’affronter un adversaire. Il est plutôt atypique, très théâtral, avec beaucoup de storytelling. Est ce que tu peux nous parler de cette facette qui fait intégralement partie de ton personnage ?

C’est vraiment mon côté comédien. Je voulais et je veux toujours être comédien, humoriste, acteur… c’est ma passion avant même le sport, avant même la graille (rire). Je ne pourrais pas combattre sans jouer la comédie, sans ce côté théâtral. Je ne pourrais pas être aussi lisse que certains combattants, ça ne me correspond pas. C’est vraiment moi, même si demain on me mettait un adversaire à qui ça ne ferait rien, je continuerais de faire mon cinéma, c’est de cette manière que j’aime me produire.

Cet aspect entre en résonance avec l’image que tu renvoies sur les réseaux sociaux, où tu partages énormément et as réussi à souder une vraie communauté, notamment grâce à l’humour. En parallèle de tes activités sportives, tu fais aussi du stand-up. Qu’est ce que ça représente pour toi ?

Pour moi c’est une sorte d’exutoire, un passe-temps que j’aime sans modération. Je pourrais passer ma journée à faire rire. C’est une thérapie totalement bénéfique. C’est ma passion initiale, quand j’allume ma caméra et que je pars en impro’, c’est mon kiff. J’oublie le combattant, c’est vraiment ce que j’aime.

Ta chaîne YouTube, où tu approches les 300 000 abonnés, est donc un peu le prolongement de ce que tu peux faire sur scène ?

Le fait de faire ces vidéos, pour moi, c’est un régal. Parce que grâce à ma notoriété dans le sport j’arrive à prendre du plaisir dans ce que j’aime initialement, et je me sers du fait que je sois un bon combattant pour avoir un public qui me regarde faire l’idiot. Quand je suis sur une vidéo YouTube, et que je reçois le premier jet, je vois toujours les effets, les références qu’on peut ajouter. Les vidéos, c’est comme si c’était un sketch que j’améliorais avec le montage

On voit surtout l’équipe sportive autour de toi, tes entraîneurs et les personnes qui gèrent ton image. Mais il y a aussi toute une famille qui t’accompagne, je pense notamment à ta mère qu’on retrouve au bord de la cage quand tu combats, à ton fils maintenant. Quelle place a pu prendre ta famille dans le processus de préparation des combats en kick-boxing et désormais en MMA ?

Quand je prépare un combat, je suis dans ma bulle, je suis isolé : je m’entraîne, je rentre, je mange, je dors, je m’entraîne… J’ai ma famille au téléphone, c’est rare que je me déplace quand je suis en préparation, j’ai pas beaucoup de temps et d’énergie, mais ça ne change pas qu’il compte beaucoup. Ma mère communique beaucoup avec moi, elle me communique son stress (rire). Je fais vraiment la part des choses, pour moi le combat, c’est le combat, et la famille, c’est la famille. Chaque chose est dissociable, il ne faut pas tout mélanger. Souvent on me demande pourquoi je ne viens pas avec tel ou untel, le combat c’est le combat, la vie privée, c’est la vie privée, cela n’a rien à voir.

Tu es désormais en 5-0, confortablement installé au PFL. La transition vers le MMA se passe bien, sans accroc. Quelles sont les objectifs à long terme ?

Inscrire mon nom dans le panthéon du sport français, comme Zidane. Et puis mondialement, j’espère être celui, qui, de part sa hype, réussit à hisser une organisation no-name sur le toit du monde. Faire ce que Conor McGregor a réussi à faire avec l’UFC.

Tu es engagé sur plusieurs fronts, on t’a vu prendre la parole et mener des combats hors du ring, notamment contre les violences faites aux femmes. Qu'est ce que tu aimerais laisser comme empreinte et comme discours à la fin de cette carrière à une génération qui suit de plus en plus le MMA ?

Je prends beaucoup McGregor en référence, mais pas vraiment comme modèle, plutôt comme marqueur. J’aspire à faire plus, toucher plus de gens, et faire mieux. Aujourd’hui, je suis suivi par les enfants, les jeunes, par les sportifs et les non-sportifs. J’ai une responsabilité. Vous ne verrez aucun gros mots dans mes apparitions, jamais de choses irrespectueuses contre des communautés, des religions, et puis surtout, j’essaye d’avoir un comportement exemplaire, selon l’éducation que j’ai suivie. Quand les gens vont penser Doumbé, je veux qu'ils pensent KO premier round et interview France Inter, où je m’exprime bien et mène des vrais combats. J’ai des défauts, on essaye de les cacher et de s’améliorer, mais cette responsabilité, elle m’incombe et je souhaite être capable de changer le monde à mon échelle.

Est ce que cette responsabilité est difficile à porter ?

Je suis un bon combattant, mais l’orateur est encore en phase d’expérimentation. Je l'apprends à mes dépens, je suis obligé de réfléchir trois-quatre fois avant de dire ou faire quelques chose. C’est un peu le mauvais côté de la notoriété, mais je le prends, c’est une responsabilité. Comme dirait l’oncle de Spider-Man : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. »