Des Mots aux Images : Portrait de Simon Moutaïrou

Par redaction

18/09/2024

Le cinéaste franco-béninois Simon Moutairou s’apprête à faire ses premiers pas en tant que réalisateur avec la sortie au cinéma de son tout premier long-métrage, Ni chaîne ni maître, ce mercredi 18 septembre en France et dans plusieurs pays d’Afrique francophone. Scénariste depuis 20 ans, Simon a marqué l’industrie du cinéma avec des succès tels que Braqueur et Boîte noire. À 43 ans, il réalise un rêve de longue date en passant derrière la caméra pour raconter une histoire profondément personnelle. Ni chaîne ni maître est un film puissant, évoquant la quête de liberté à travers l’histoire de Massamba et Matie, un père et sa fille esclaves, pris dans une lutte pour leur survie et leur émancipation

Est-ce que tu peux te présenter ?


Simon Moutairou, 43 ans, franco-béninois. Je suis scénariste de films depuis 20 ans et réalisateur depuis 3 ans.

Est-ce que tu peux nous raconter ton parcours scolaire, comment tu as commencé, et ce qui t'a amené à devenir scénariste ?


Oui, j’ai toujours aimé les mots, la littérature, bien avant le cinéma. Quand j’étais au lycée, la lecture était un refuge pour moi. J’ai commencé à devenir cinéphile après avoir vu Seven en 1995. Avant ça, je regardais surtout des blockbusters, mais Seven m’a vraiment marqué. Ensuite, j’ai découvert Malcolm X et Denzel Washington, qui m’ont fasciné par leur éloquence et leur prestance. À partir de là, je suis devenu passionné par le cinéma et la littérature.

Mon père, béninois et très attaché à la méritocratie, m'a poussé à bien réussir à l'école. J'ai grandi à Montpellier, puis après le bac, je suis parti à Paris pour faire une prépa littéraire. Je rêvais de devenir écrivain, mais mon meilleur ami m'a convaincu qu'il fallait faire du cinéma pour pouvoir payer les factures. On a fini par vendre notre premier scénario à Cannes après beaucoup de refus, et c'est là que tout a commencé.

En quoi consiste le métier de scénariste ?


Le métier de scénariste est universel. Depuis toujours, on nous raconte des histoires, que ce soit à travers les films ou les livres. Un scénariste, c’est quelqu’un qui maîtrise les règles de la narration et décide d'en faire son métier. Ce qui compte, c’est l’imagination, la créativité, et l’endurance. Personne ne produit un bon scénario au premier jet.


À quel moment le métier de scénariste est-il devenu sérieux pour toi ?


Après Cannes. J'étais à la recherche d'un vrai boulot, mais quand Pierre Javaux nous a signé, ça m'a permis de mettre un pied dans l'industrie. J'avais besoin de l'approbation de mon père. Je me souviens qu’il m’a dit une phrase que je n’ai jamais vraiment comprise : « Soit Jamel, soit Mimi Mathy. » Je l'ai pris comme une validation et à partir de là, je n'ai jamais eu de métier "classique".


Quelles sont les difficultés que tu rencontres en tant que scénariste ?


La première difficulté, c’est qu’en France, ce métier est moins considéré qu’aux États-Unis. Très peu de scénaristes vivent de leur travail. Je crois qu’environ 3 % des scénaristes gagnent plus de 2000 euros par mois. Beaucoup ne vendent qu’un seul scénario. Il faut aussi savoir mettre son égo de côté, car un scénario est fait pour être incarné en images et non pour exister en tant que tel.

Tu es franco-béninois. Est-ce que cela a impacté ton travail ?


Oui, ça a un impact. Pendant longtemps, raconter nos histoires intéressait peu. Mais ces dernières années, il y a eu un mouvement de réappropriation des narratifs. Avoir une double culture, même pop culture, enrichit forcément ton travail. En tant que métis, je circule dans différents mondes, ce qui te donne un avantage artistique en termes de compréhension de l'air du temps. J'ai toujours su que je voulais faire un film sur mes origines, mais je savais que je ne pouvais pas le faire avant d’avoir du succès. Depuis longtemps, je gardais le scénario de Ni chaîne ni maître sur mon ordinateur, en attendant le bon moment. Après le succès de Boîte noire, j'ai su que c'était le moment.


Peux-tu nous parler de tes succès en tant que scénariste et de comment tu les vis ?


Le premier gros succès, c’est Braqueur. C’était un hit générationnel, notamment chez les plus jeunes. Le film a fait 600 000 entrées, ce qui est bien, mais pas suffisant. Ensuite, Boîte noire a fait 1,2 million d’entrées, avec une nomination aux César. Ça a été un vrai succès, et c’est à ce moment-là que j’ai ressorti mon projet Ni chaîne ni maître.


Comment as-tu fait le passage de scénariste à réalisateur ?


C’est un processus graduel. Tu signes ton contrat de réalisateur, mais au début, tu travailles encore le scénario. Puis les acteurs acceptent, les financements arrivent, et tout s’accélère. On a fixé une date de tournage, et à partir de là, c’était un sprint. Mais j’ai réalisé que le métier de scénariste m’avait préparé à ça, sans que je le sache.

Comment s’est déroulé le tournage ?


Le tournage a été épique. On tournait à l’île Maurice, sur les chemins empruntés par les esclaves marrons. La nature s'est déchaînée, avec beaucoup de pluie et de vent. Mais mon acteur principal, Ibrahim, m’a dit que c’était une manière pour l’île de nous honorer. Ça a changé ma perspective et, malgré les difficultés, j’ai senti qu’on capturait quelque chose de puissant.


De quoi parle ton film Ni chaîne ni maître ?


C’est l’histoire d’un père et de sa fille, Massamba et Matie, esclaves dans une plantation de canne à sucre. Massamba rêve que sa fille soit affranchie, mais Matie veut marronner, c'est-à-dire s'enfuir. Elle s’évade, et une chasseuse d’esclaves est engagée pour la retrouver. Le père s’échappe à son tour pour la retrouver avant la chasseuse. C’est un survival qui parle du marronnage.


Un film français sur l’esclavage, ce n’est pas fréquent ?


J’ai découvert la porte du non-retour à Ouida au Bénin, et ça m’a marqué. L’histoire de l’esclavage m’a toujours mis en colère, mais j’ai aussi découvert le marronnage à travers des auteurs comme Aimé Césaire, Édouard Glissant, et ça m’a donné de l’espoir. Il y a toujours eu des hommes et des femmes qui ont brisé leurs chaînes. C’est ce que je voulais montrer avec ce film.

Et c'est vrai que j'avais vu Ibrahim Ambay dans l'Atlantique. Il avait un rôle secondaire, mais il dégageait un charisme incroyable. Je l'ai revu à Dakar. Comme c'était essentiel d'aller là-bas pour capter l'essence des héros. Quand je l'ai rencontré à Dakar, il a tout donné. Puissance dramaturgique, énergie vitale. Par contre, pour le rôle de Mathie, sa fille, ça a été un processus beaucoup plus long. On a fait passer un casting à 500 jeunes filles à Dakar. De ce groupe, Imane Jeun.

C'était un choix spécifique de faire un film pour le cinéma ou est-ce que tu envisages de travailler sur des projets pour des plateformes à l'avenir ?


C'est une vraie question. Mon prochain projet, c'est une série sur les pharaons pour Disney, donc pour une plateforme. Cela dit, je pense que quand un film porte sur des sujets profonds, le cinéma a une force unique. Cela permet de prendre le temps d'installer le sujet, de créer du débat, de susciter des articles et des discussions. Avec les plateformes, tout va plus vite : on sort un vendredi, et ça peut très bien marcher partout dans le monde, mais le temps de réflexion et de débat est plus court. Pour un film avec un sujet fort, le cinéma reste un vecteur beaucoup plus puissant. Surtout après une année comme celle qu'on vient de vivre en France, l'idée que tout le monde, quelle que soit leur origine ou leur âge, se retrouve dans la même salle de cinéma pour vivre une histoire commune, c'est irremplaçable.


Tu as commencé comme scénariste avant de devenir réalisateur. Comment envisages-tu l'avenir ? Est-ce que tu as déjà des projets à venir ?


Oui, j'ai monté ma société, Dahomey Productions, parce que je crois fermement en la prochaine génération de talents. J'étais récemment au Bénin pour le FIF, le Festival International du Film Féminin. En France, j'ai donné des cours à l'école de cinéma à Montfermeil, à Lyon. J'ai pu constater à quel point les jeunes ont du talent. Au Bénin, j'ai rencontré des réalisatrices du Burkina Faso, du Sénégal, de Côte d'Ivoire, du Cameroun. Le niveau est exceptionnel. Donc, ma société de production a pour but de soutenir ces talents en France, en Afrique et dans les Caraïbes. Le premier projet de ma société, c'est la co-production de la série pour Disney. Personnellement, mon prochain projet sera Pharaon.


Comment vois-tu l'avenir du cinéma, en tant que scénariste et réalisateur ? Qu'espères-tu pour les acteurs, les réalisateurs ?


Je suis très fier de ma génération. Quand je vois des films comme ceux de Mati Diop, Ladjy Ly, Abdel Malik, ou encore ce que fait Pierre Niney avec Monte-Cristo — qui est un mythe français revisité —, je trouve que le cinéma populaire français est en pleine forme. J'aime le cinéma populaire, qu'il soit français ou américain. J'ai adoré Monte Cristo. J'ai aussi été impressionné par l'impact d'Anatomie d'une chute. Je pense que le cinéma français n'a jamais été aussi brillant dans le populaire et dans le cinéma d'auteur. Cela me donne beaucoup de force et je crois que la prochaine génération sera encore meilleure.