ROCK MY WORLD : DOLCE CIOFFO & L'HÉRITAGE VIVIENNE WESTWOOD

Par Dalla Menanteau Ba

01/06/2024

Vivienne Westwood porte en elle deux héritages distincts. L’un se mythifie par ses fervents
adorateurs depuis les années 1980 dans le London mythique et au-delà, porté par cet élan punk qui avait notamment habillé les Sex Pistols. Collant troué, kilt rock’n’roll et madness assumée. L’autre s’agrège dans la nouvelle génération et trouve son écho sur les réseaux sociaux, revendicatrice et admirative du génie de cette lady hérétique, icône de la contre-culture.
Aujourd’hui, la maison indépendante de Vivienne Westwood gravite autour de cet insigne héritage. Nous avons rencontré Dolce Cioffo, directrice du patrimoine et de la communication chez Vivienne Westwood. Elle incarne la symbiose entre le patrimoine historique et l’innovation contemporaine qui caractérise la marque, dévoilant son parcours professionnel impressionnant et son rôle crucial au sein de cette maison de mode légendaire.

Peux-tu expliquer ton travail en tant que responsable des relations
publiques et du patrimoine (héritage) chez Vivienne Westwood depuis tes débuts jusqu’à maintenant ?


Actuellement, je supervise des équipes et m’occupe de diverses missions, qui, bien qu’elles semblent différentes, sont interconnectées puisque j’occupe le poste de directrice du patrimoine. Cela signifie que je gère l’ensemble des projets culturels à l’échelle mondiale et je dirige une équipe à Londres responsable des archives. Les départements ont évolué, passant des archives au patrimoine après un travail intensif de six à sept ans, reflétant ainsi la transformation complète que nous avons réalisée. Aujourd’hui, le département du Patrimoine supervise tous les projets liés à l’héritage de Vivienne Westwood, de la marque elle même, ainsi que de Vivienne et Andreas.

En tant que responsable de la communication, je dirige l’équipe de presse pour la France et l’Allemagne et supervise également les activités dans d’autres pays comme la Suisse ou la Belgique, en mettant un accent particulier sur la stratégie. Mon travail ne se limite pas à la communication ; il englobe aussi le marketing et le marketing de détail. L’objectif est de s’assurer que nos activités à Paris reflètent fidèlement celles de Londres, en maintenant une direction cohérente avec nos équipes londoniennes ainsi qu’avec d’autres équipes de presse internationales, notamment à Milan et avec nos partenaires en Asie, tels que le Japon et la Chine. Nous menons des stratégies, de la communication, et organisons des événements pour renforcer l’engagement local à Paris. Depuis mon déménagement à Paris, j’ai été confrontée à l’absence d’une équipe de communication locale, un défi exacerbé par le contexte de la covid-19. La gestion de cette période a été ardue, surtout en raison de notre identité de marque britannique opérant en France. Cela nécessitait une compréhension profonde des subtilités culturelles du monde de la mode, qui diffère entre la France, l’Italie et l’Angleterre.
La création d’une équipe solide a été cruciale pour notre succès et, aujourd’hui, je suis fière de l’esprit familial qui nous caractérise. Notre travail en France est étroitement lié à celui de l’Italie, de l’Asie et de l’Angleterre, créant une collaboration étroite et efficace. L’héritage et la communication, bien que différents, sont intrinsèquement liés, car nous intégrons de plus en plus la communication dans notre gestion patrimoniale. La présence renforcée de Vivienne Westwood en France témoigne de cette synergie réussie, non seulement à travers les produits mais aussi grâce à l’efficacité de notre équipe, assurant que nos clients et le public soient constamment au fait de nos activités. Les choses évoluent réellement, témoignant d’un changement significatif dans notre approche et notre impact.

Peux-tu nous parler de ta rencontre avec Andreas et Vivienne et la manière dont vous collaboriez ensemble ?


Vivienne Westwood est une marque indépendante, ce qui signifie que sa
structure est horizontale, contrairement aux autres maisons de mode mondiales qui sont intégrées dans de grands groupes et possèdent une structure verticale. Cette indépendance crée une atmosphère familière au sein de l’entreprise, permettant à Vivienne et Andreas d’être étroitement liés à toutes les équipes et de maintenir de bonnes relations. Cette proximité est essentielle car elle nourrit un sentiment de communauté et de travail collectif pour un but commun. Depuis mon stage en 2014, j’ai eu une relation privilégiée avec Andreas, qui a commencé lors d’une fête de Noël. Jamais je n’aurais imaginé travailler dans la mode, encore moins pour une marque aussi emblématique que Vivienne Westwood. Ces Christmas Party, avec leur ambiance rock’n’roll et la présence de deux cents personnes, étaient l’incarnation de l’esprit de la marque.
Travailler chez Westwood, c’est ressentir un engagement envers quelque chose de plus grand une cause qui transcende la mode. C’est un sentiment unique, renforcé par le lien que j’ai développé avec Vivienne. Nos discussions sur des sujets comme l’étymologie reflétaient notre passion commune pour le savoir et l’apprentissage. Ma relation avec Andreas m’a transformée, à l’instar de celle avec une figure maternelle, changeant ma vie et façonnant ma carrière. Vivienne, quant à elle, reste ma plus grande source d’inspiration. Contrairement à l’image souvent véhiculée par la presse internationale, la
connaître personnellement a été une expérience révélatrice, démontrant sa force et son influence en tant que femme.
Westwood est plus qu’une entreprise ; c’est une grande famille où la hiérarchie traditionnelle s’efface au profit d’échanges directs et sincères entre tous, y compris avec Andreas. Cette
structure favorise un environnement sain et dynamique, essentiel pour faire face aux défis actuels, notamment dans la mode et l’activisme environnemental.

Comment traduis-tu cette montée en popularité de la marque
Vivienne Westwood ces dernières années ?


Effectivement, c’est très intéressant car dans mon rôle au sein de la
communication et du patrimoine, j’ai observé que notre public se divise en deux grandes
catégories. D’un côté, nous avons les connaisseurs et les collectionneurs, souvent âgés de
50 à 60 ans, qui ont grandi avec la marque à Londres et au-delà. Ils connaissent
profondément l’histoire de la mode et ont accumulé des pièces des années 1990. De l’autre, il y a les millennials, les young kids qui étaient initialement attirés par les bijoux de la marque. Cependant, leur intérêt s’est élargi, embrassant l’esprit, l’éthique, l’éthos et l’esthétique de Westwood, ainsi que les vêtements. L’engagement pour la marque ne se limite plus aux bijoux ; il englobe désormais les sacs, les cardigans, les kilts et les corsets, parmi les articles les plus populaires. Les racines de cet engouement remontent aux débuts de la marque, fin des années 1980 et début des années 1990, où Vivienne Westwood a innové en introduisant des éléments comme le collier de perles, y compris sur des hommes, préfigurant les tendances actuelles.
Avec l’essor de TikTok et des réseaux sociaux, l’image de la marque est devenue virale, renforçant sa présence et son influence, en particulier pendant la pandémie qui a accéléré le passage au commerce en ligne. L’engagement de Westwood dépasse la mode, incarnant une esthétique unisexe et des principes environnementaux forts. Le mouvement pour une mode unisexe, initié par Andreas lors du défilé de 2015 intitulé « Time to Act », résonne avec l’engagement continu de la marque pour ces causes. Travailler pour Vivienne Westwood, c’est contribuer à une cause majeure, pas seulement dans la mode, mais aussi dans la promotion d’un idéal, le combat pour des principes, et l’émancipation, en particulier des femmes. Porter Westwood, c’est partager une vision, ce n’est pas simplement une question de mode, c’est significatif. Cela reflète un engagement envers des causes plus larges, qui attire de plus en plus la nouvelle génération.

Penses-tu que le manga Nana a eu un impact auprès de la marque ? Comment cette vague a été vécue en interne ?

Of course ! Oui, nous sommes tout à fait conscients de l’impact de Nana. C’est vraiment incroyable. Je pense que Vivienne Westwood a également eu beaucoup de chance, historiquement parlant. Pensez à l’instant où la robe de mariée est apparue dans Sex and the City – cela a été un moment culturel et historique marquant. Tout le monde pense à Westwood lorsqu’il s’agit de robes de mariées. Il en va de même pour Nana. Cela a été comme une bénédiction ; notre marque a commencé à être de plus en plus utilisée, intégrant notre esthétique dans le mouvement de cette époque. Nos articles, comme le corset, le kilt, et
d’autres accessoires comme le collier orb, voire des pièces en forme de coeur ornées de l’orb, ont été très demandés. Nous avons réédité certains de ces articles, qui se sont vendus très
rapidement, suscitant l’enthousiasme des fans de Nana.


Notre présence en Asie se renforce et s’élargit considérablement. L’engouement autour de Nana est indéniablement lié à cela. Nous sommes pleinement engagés dans cette dynamique et travaillons sur des projets associés, bien que je ne puisse rien révéler pour le moment car rien n’est finalisé. Cependant, nous allons, par exemple, relancé certains produits comme les briquets, qui rencontrent un vif succès.

En Asie, les boutiques adoptent divers concepts uniques. Est-ce spécifique à l’Asie, et en quoi ces concepts diffèrent-ils des autres ?

La gestion du commerce de détail en Asie diffère considérablement de celle en Europe occidentale ou aux États-Unis, où nous possédons également des boutiques. En Asie, nous collaborons avec des partenaires qui nous conseillent sur la structuration optimale de nos opérations. Actuellement, notre stratégie évolue pour s’harmoniser davantage avec nos pratiques en Europe et en Amérique. Nous tendons vers une uniformité, bien que notre approche en Asie se soit développée progressivement et de manière organique, en concertation avec nos partenaires locaux, pour mieux refléter l’image globale de notre marque. Toutefois, le marché asiatique présente des particularités qui nécessitent une expertise locale spécifique pour une adaptation réussie.

Comment établissez-vous des relations avec les célébrités et sélectionnez-vous les représentants de votre marque sans dépendre d’un manager d’influenceurs ? Quelle est votre stratégie pour choisir les influenceurs et célébrités sans que
cela devienne votre principal moyen de communication ?

J’apprécie ces questions car elles renvoient au coeur de l’identité de Westwood, qui est plus qu’une simple marque de mode : elle incarne un engagement profond envers des causes plus grandes. Notre interaction avec les VIP et célébrités reflète cet engagement, car nous choisissons des individus qui représentent authentiquement notre éthique et notre histoire, plutôt que de suivre les stratégies de relations publiques conventionnelles. Nous ne nous fions pas aux budgets importants mais plutôt à une appréciation mutuelle et au respect pour former des partenariats avec des personnes qui incarnent les valeurs de Westwood, sur et hors du tapis rouge. Cette approche nous a amenés à collaborer avec des figures comme Lena Mahfouf, qui symbolise l’authenticité et la féminité réelle dans le monde de la mode. Notre marque vise à autonomiser et à embellir les femmes, non seulement à travers la mode, mais en soutenant et en reflétant leurs véritables identités et forces.

As-tu quelque chose que tu voudrais que les gens sachent ?

Que Vivienne Westwood est une marque extraordinaire. J’aimerais que les gens la découvrent davantage et s’impliquent plus profondément dans son histoire, dans le parcours de Vivienne elle-même et dans l’originalité d’Andreas, ainsi que dans les sensations uniques procurées par le port de leurs vêtements.