Les milles et une vies de NADIA NADIM

Par redaction

27/08/2024

L’histoire d’une résilience hors du commun. Née en Afghanistan, Nadia Nadim connaît dès son plus jeune âge la brutalité d’un monde en guerre. Après l’exécution de son père parles Talibans, elle est contrainte de fuir son pays avec sa famille pour trouver refuge au Danemark. C’est là, dans un camp de réfugiés, que Nadia découvre le football, un sport qui deviendra son échappatoire. Rapidement, son talent naturel et sa détermination sans faille la propulsent sur les plus grandes scènes du football féminin. Mais son histoire ne s'arrête pas là. Polyglotte, médecin et militante engagée, elle défie les stéréotypes à chaque dribble. Nadia Nadim n’est pas seulement une star du football, elle est un symbole d’abnégation, d’espoir, et de capacité à réinventer sa vie, même quand tout semble perdu. Entretien.

Tu as vécu plusieurs vies, la première démarre en Afghanistan, c’est l’histoire d’une petite fille qui doit fuir le pays face au régime des Talibans. Comment as-tu traversé ce voyage en tant qu’enfant ?

Quand j’y repense, je me sens parfois malchanceuse d’être née dans un pays déchiré par la guerre, avec toutes les choses horribles qui s’ensuivent : l’exécution de mon père, fuir, commencer une nouvelle vie... Cela a fait de moi la personne que je suis. Je n’ai pas l’impression d’être une victime –  je ne me suis jamais sentie comme telle – mais plutôt d’avoir été choisie pour traverser cette épreuve.

Dans ton livre « Mon histoire », tu dis que le sport a permis de casser la barrière de la langue à ton arrivée au Danemark. Comment le football a facilité ton intégration à cette nouvelle société ?

Quand je suis arrivée au Danemark et que j’ai vu que les filles et les garçons jouaient au football, j’étais fascinée. Les enfants avaient l’air heureux, libres. Je suis tombée amoureuse de ce jeu. Je ne ressemblais à personne, j’étais timide, j’avais peur et le sport m’a aidée à faire partie d’un groupe, d’une famille, d’une communauté. Le sport m’a aidée à apprendre la langue, à apprendre la culture. C’est un excellent levier d’intégration.
Quand j’ai commencé l’école au Danemark, neuf mois après mon arrivée, les enfants ne s’intéressaient pas particulièrement à mon histoire, ils me disaient simplement : « On a entendu dire que tu jouais au football. » J’ai acquiescé et ils m’ont invité à jouer. J’avais déjà l’impression de faire partie de quelque chose et je me sentais accueillie.

Ta deuxième vie, c’est celle d’une footballeuse professionnelle accomplie. Première étrangère dans l’équipe nationale du Danemark. Tu as joué dans des clubs à travers tout le globe : la France, l’Angleterre, les États-Unis, l’Italie. Tu es plus proche de la fin que du début, quel regard poses-tu sur ta carrière ?

Quand j’avais 10 ou 11 ans, j’étais dans un camp de réfugiés et je ne savais pas vraiment ce qu’était le football. Depuis, j’ai évolué pour les plus grandes équipes du monde et j’ai gagné des championnats. J’ai plus de 100 sélections avec l’équipe nationale danoise et en suis reconnaissante. J’ai vraiment luttéà chaque instant et je savais que je devais me battre trois fois plus que la personne à côté de moi pour y arriver mais je n’ai aucun regret.

J’ai l’impression d’avoir réalisé ce que je voulais faire. Il me reste encore un ou deux saisons, je suis toujours motivée, c’est toujours la même passion, la même joie, mais en même temps, j’ai aussi beaucoup d’ambitions en dehors du football. Je suis heureuse et reconnaissante d’avoir cette vie.

L’essor du football féminin est particulièrement récent. Tu deviens professionnelle à une époque où il était encore très peu médiatisé. Que lui manque-t-il aujourd’hui pour devenir l’égal de son homologue masculin ?


Les compétitions féminines comme la Coupe du Monde, l'Euro et les Jeux Olympiques sont de plus en plus suivies, donc les choses s’améliorent. Mais il reste encore du chemin pour combler le fossé entre les hommes et les femmes. Surtout en ce qui concerne les finances, les infrastructures et la façon dont les gens perçoivent les footballeuses.
Si vous voulez changer les choses, le moyen le plus rapide est de faire évoluer les mentalités, notamment celles des dirigeants. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu être ambassadrice de la Coupe du Monde 2022. Habituellement, tous les ambassadeurs sont des hommes, il était donc important de montrer aux enfants que le football féminin existe.
Ça s’est démocratisé en Europe et en Amérique du Nord et il faut s’en réjouir, mais si vous voyagez en Asie et au Moyen-Orient par exemple, il reste encore très marginal.

Tu parles souvent de l’importance de ta mère dans ta vie, quelle est la place de ta famille dans ton parcours ?


Nous ne sommes qu’un, tout ce que nous avons traversé nous a rapprochées. Quand je rentre chez moi au Danemark, je suis toujours dans la même maison. La famille passe toujours en premier. Nous avons ce lien unique, je pense que c’est quelque chose que ma mère a installé en nous. Aujourd’hui, elle est malheureusement décédée, mais je pense qu’elle était le centre de tout. Maintenant qu’elle est partie, nous faisons tous un effort pour être toujours ensemble et rester les mêmes.

Ambassadrice Unesco, Ambassadrice H & M Move, Médecins  Sans Frontières, Street to School... Tu es engagée sur plusieurs fronts, avec toujours ce combat pour l’accès à l’éducation et à la démocratisation du sport pour toutes les filles. De nombreux sportifs préfèrent se cantonner au rectangle vert, toi non, tu as choisi de devenir un porte-voix, pourquoi ?


Parce que je veux faire partie du changement et je veux rendre la pareille. J’essaie d’être authentique, je veux être moi-même. C’était logique pour moi d’être ambassadrice H&M Move. Quand ils m’ont demandé de les accompagner, j'étais très honorée parce que le travail qu’ils font est énorme et ils atteignent des parties du monde auxquelles je n’aurais jamais eu accès. H&M Move propose des vêtements qui sont accessibles, et je trouve cela génial. Il est insupportable de se dire que des personnes n’ont pas accès à la pratique sportive parce que les équipements et vêtements sont trop chers. Je suis fière de les accompagner, et à travers leur programme social Move Together, de soutenir tous ces jeunes.

En parallèle du football, tu as étudié la médecine dans le but de devenir chirurgienne. Pourquoi poursuivre des études malgré ta carrière ?


Ma mère me disait, « c’est très bien que tu joues au foot et que tu continues à le faire, mais je veux aussi que tu utilises ton cerveau ». Dans sa famille, elle a été la première fille à recevoir une éducation. Elle a dû se faufiler hors de la maison, dans le dos de son père, pour aller à l’école parce que les filles n’y allaient pas. Puis elle s’est assurée que tous ses frères et soeurs y aillent aussi. Je suis heureuse d’avoir eu une mère comme ça. Elle nous a montré l’importance de l’éducation. L’éducation vous aide à comprendre le monde et c’est pourquoi mon travail à l’Unesco est important, parce qu’il y a plus de 400 millions de petites filles dans le monde qui ont besoin d’aide, qui n’ont pas accès à l’école.

Comment peuvent-elles changer leur situation si elles ne comprennent pas qu’elles ont une voix ou un pouvoir ?  Tu as écrit « Mon histoire », puis tu es passée devant la caméra pour le documentaire « Nadia ». Pourquoi est-ce si important pour toi de te raconter ?


Peu importe la difficulté d’une situation, il y aura toujours un moyen de s’en sortir, il faut juste croire que ça va arriver. Je veux donner un peu d’espoir et dire aux gens que j’ai été dans les endroits les plus sombres, mais quelque chose en moi m’a dit que ce n’était pas la fin. Tout le monde traverse des épreuves dans sa vie, certains en traversent parce qu’ils n’ont pas le choix.
Je pense à ceux qui passent par ces moments difficiles. J’ai envie de leur dire qu’il y a toujours de l’espoir, qu’il faut juste croire que c’est faisable et qu’il y a une lumière.
Donner une seconde chance aux gens peut créer quelque chose de positif. Je pense que c’est la raison pour laquelle j’ai raconté cette histoire.