Sofiya Loriashvili, l’œil brut de l’intime

Par redaction

18/05/2025

«Je m’appelle Sofiya Loria Schulli, j’ai 25 ans et je suis photographe.» Voilà comment commence cette rencontre avec une jeune femme à l’univers aussi sensible que viscéral. Née d’un parcours marqué très tôt par la solitude et des séjours prolongés à l’hôpital, Sofiya découvre la photographie comme un refuge. Sa mère, pour occuper son ennui d’enfant malade, lui met un appareil photo entre les mains. Elle shoote d’abord les murs, les couloirs, les silences. Puis ce regard devient habitude, presque une seconde peau.

«Quelqu’un un jour m’a dit : tu devrais envoyer tes photos à des mags. Et c’est comme ça que j’ai commencé à me dire que je pouvais en faire un métier.»

Depuis, Sofiya construit un langage visuel très personnel. Son style, elle le définit comme une sorte de journal intime visuel. Elle documente ses potes, la fête, les objets oubliés dans la rue, les déchets même. Des portraits sans visage mais pleins de vie. Elle photographie ce qui accroche son regard, ce qui a une histoire – ou un fantôme d’histoire – à raconter. Et surtout, elle shoote pour créer du lien. Le shooting comme prétexte à la rencontre, la rencontre comme une scène photographique en soi.

Quand Sofiya s’envole pour le Japon, c’est d’abord pour une exposition. Mais elle y voit l’occasion d’un vrai périple, d’un choc culturel. Elle y reste un mois, entre Tokyo, Osaka et Kyoto. Tokyo devient vite son terrain de jeu, ou plutôt son terrain d’errance. Elle marche, seule souvent, et photographie ce qui l’étonne, l’émeut, la déroute.

«Le Japon, c’est une autre planète. Je me suis mise à faire de la street photo, alors que c’est pas mon truc d’habitude.»

La rue japonaise, avec sa cadence extrême et son esthétique de saturation, devient un décor parfait. Le Japon, c’est l’entre-deux permanent : entre silence et foule, entre uniformité et exubérance, entre apparences lisses et débordements cachés.

«Pour moi, Tokyo se divise avant 18h et après. Le matin c’est la rigueur, le soir, les gens s’écroulent dans la rue, ivres. C’est fascinant.»

Mais ce que Sofiya aime surtout, ce sont les lieux. Les endroits avec des couches, du vécu, du mystère. Les love hotels notamment – ces hôtels à thème pour couples, aux décors kitsch, surannés, chargés. Elle y photographie des inconnus devenus modèles d’un instant, croisés via Instagram ou grâce à des amis japonais.

«J’adore les décors un peu démodés, les papiers peints, les vieilles lampes. Mon père était architecte, j’ai toujours eu un œil pour les objets et les lieux qui racontent.»

Les hôtels de l’amour deviennent alors des capsules temporelles. Des scènes de théâtre un peu poussiéreuses où elle installe ses modèles, souvent des femmes, parfois des hommes, toujours dans une dynamique de confiance et de fragilité partagée.

Sofiya Loriashvili n’est pas une photographe de l’instant volé. Elle ne cherche pas la performance ou l’effet. Elle regarde. Elle attend parfois. Elle se laisse happer. Même si son premier réflexe, quand un ami tombe par terre ou qu’une scène bizarre se déroule sous ses yeux, c’est quand même… de sortir l’appareil.

«Je shoote ce que je ressens. Pas ce qui est joli. Et surtout pas ce qui est attendu.»

Le Japon a été pour elle un miroir déformant. Elle y a trouvé de quoi alimenter ses obsessions visuelles : la solitude, les lieux hantés, les ambiances absurdes ou trop belles pour être vraies. Et surtout, elle y a laissé quelques images, comme autant de traces de cette rencontre entre une culture fermée et un regard brut, fragile, honnête.

Là où le Japon étonne aussi Sofiya, c’est dans ses contrastes. L’hypersexualisation ambiante côtoie une censure stricte et pudique. Elle passe du temps dans des librairies spécialisées, curieuse de comprendre la sexualité nippone.

«Tous les livres sont plastifiés. Tu peux pas feuilleter. Et les parties génitales sont floutées. Même dans les pornos. C’est très codifié.»

Cette tension entre exhibition et interdiction, elle la ressent aussi dans la rue. Tout est visible, mais rien n’est accessible. Les Japonais sont polis, accueillants, mais toujours derrière une barrière invisible.

«À la longue, ça m’a manqué d’avoir un lien émotionnel réel. Tout le monde est gentil, mais t’as l’impression de jamais toucher quelque chose de vrai.»